Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 15:19

Parmi les symboles du pouvoir romain se trouve le faisceau, porté par des licteurs. Un faisceau consiste en un assemblage de verges liées ensemble autour d’une hache, et portées par un homme nommé licteur, selon le modèle suivant :



(image wikimedia commons)


Ces licteurs sont attribués à différents magistrats romains (en nombre variable selon le rang dudit magistrat)  et servent principalement à leur ouvrir la voie (ils portent le faisceau de la main gauche, la droite tenant une verge qu'ils utilisent pour écarter la foule) et à marquer leur fonction.

Le faisceau, attesté formellement à Rome à partir du IIè siècle av.J.-C.,  possède une symbolique très simple : les verges servent à frapper les condamnés, la hache à les décapiter. L’assemblage de ces éléments somme toute triviaux permet au faisceau de représenter le droit de vie et de mort du magistrat escorté par les licteurs.

Le fait que ces faisceaux soient portés par des licteurs et non par les magistrats eux-mêmes a lui aussi une signification simple : la différenciation entre la fonction et son détenteur, par opposition à un pouvoir monarchique (on connaît le côté un peu chatouilleux des Romains vis-à-vis de ce qui pourrait évoquer de près ou de loin la monarchie)(n'est-ce-pas Jules César ?).

On a longtemps pensé que ces faisceaux étaient à l’origine des symboles étrusques, repris par les Romains, aidés en cela par des affirmations d’auteurs anciens (qui ont de toute façon tendance à attribuer tout et n’importe quoi aux Etrusques) et par la découverte aux XIXè siècle, à Vetulonia, d’une tombe. Celle-ci, appelée de façon évocatrice « tombe des licteurs », contenait un faisceau daté de 680 av. J.-C. Ce faisceau différait du modèle romains, car il comportait une hache bipenne (ou double hache ), contrairement au faisceau romain à hache simple.

Il est en réalité plus que vraisemblable que ce faisceau ne soit qu’un vulgaire faux, créé de toutes pièces à partir d’une double hache (qui est un symbole fréquent chez les Etrusques) et de broches en bronze à usage sacrificiel (elles aussi couramment attestées), éléments présents dans la tombe, mais séparés. Ce fait est connu chez les Etruscologues,  mais a visiblement du mal à sortir du cadre assez restreint des chercheurs, si j’en crois du moins une rapide recherche sur Google.

De fait, il semblerait que ce soient les Etrusques qui aient adopté le faisceau romain, et non l’inverse. En effet, les représentations de faisceaux dans des tombes étrusques se répandent réellement avec la conquête romaine. Les Etrusques sont les créateurs du faisceau de verges, visiblement portés par des arbitres lors de jeux, tandis que les Romains y ont ajouté la hache, en faisant un symbole du pouvoir.

Symbole par ailleurs promis à une pérennité remarquable, que je vais rapidement évoquer par le biais de la France. Tout le monde, j’imagine, connaît cette image :



(image wikimedia commons)

Regardez attentivement au milieu, l’élément séparant les deux moitiés du texte. Un faisceau, en effet. On voit clairement les verges liées ensemble. Il diffère toutefois du modèle romain : la hache est ici remplacée par une lance. Il y a peut-être une raison symbolique profonde à cela, j’avoue l’ignorer. Il est en tout cas certain qu’une lance est bien plus appropriée ici qu’une hache, puisque cette dernière déborderait sur le texte. Le bonnet phrygien placé au dessus symbolise l’idée que le pouvoir est détenu par le peuple.

Mis de côté pendant les périodes impériales (durant lesquelles on préfère l'aigle. C’est romain aussi, ceci dit) et monarchiques, le faisceau réapparait avec la IIIè République, comme vous pouvez le voir sur ce site (tout en bas de la page). On remarque par ailleurs que tout sur ces « armes semi-officielles » rappelle l’antiquité, du faisceau aux lauriers en passant par le bouclier léger (pelta) sur lequel sont inscrites les initiales « RF ».

Ces armes sont toujours en vigueur de nos jours, comme le montre ce passeport :


(image wikimedia commons)

On peut également trouver cela :



C’est le sceau qui frappe les livres de la bibliothèque de l’Assemblée Nationale. On remarque que ce symbole a vraisemblablement été adopté après la découverte de la tombe des licteurs de Vetulonia, puisqu’il figure une double hache.

J’ai volontairement restreint le sujet à la France, à travers quelques exemples, pour que cet article ne devienne pas monstrueusement long, mais il faut signaler que le faisceau a par ailleurs connu une heure de  gloire dont il se serait sans doute passé, par le biais des mouvements fascistes (la racine de ce nom étant fasces, faisceau) qui l’ont tous adopté comme emblème.

Partager cet article
Repost0

commentaires

R
Je ne suis en rien sévère, je vous assure. Et quand j'écris quelque chose, c'est que je suis assuré de ce que j'avance. <br /> <br /> Voici donc le lien vers "Wiki machins" (comme je l'ai volontairement écrit - et non, vous remarquerez, Wikipedia) : <br /> <br /> http://fr.wiktionary.org/wiki/francisque<br /> <br /> qui propose bien, vous pouvez vérifier : <br /> <br /> Francisque : "Nom commun féminin<br /> <br /> Arme des anciens Francs, sorte de hache d’armes à deux tranchants."<br /> <br /> Voilà. C'est aussi bête que cela !<br /> <br /> Le médiéviste Pierre RICHÉ, dans son "Dictionnaire des Francs", paru aux éditions Bartillat, en 1996, écrit, à l'entrée "Francisque", p. 158 :<br /> <br /> "L'identification d'un type de hache précis (en particulier les exemplaires à fer profilé dits "de jets") avec la "francisca" des textes contemporains demeure douteuse, dans la mesure où les sources romaines tardives, byzantines et franques utilisent également les termes de "securis" ou même "francisca bipennis". La traduction littérale de ce dernier terme par "hache à double tranchant" est à l'origine de l'assimilation, bien évidemment erronée et en tout cas en contradiction avec les données archéologiques, de la "francisque" avec la hache à double tranchant dite "de licteur", popularisée par les représentations du régime de Vichy."
Répondre
S
<br /> En effet, j'ai identifié un peu hâtivement "wiki machin" comme "wikipedia". A ma décharge, j'ai l'habitude d'entendre des critiques parfois hâtives sur cette pauvre wikipedia, volontiers accusée de<br /> tous les maux. J'ai tendance à considérer qu'il faut s'en servir de la même manière qu'une source ancienne : avec des pincettes, mais sans pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain. Ma<br /> préférence allant à la version anglophone : plus d'articles, eux-mêmes souvent plus longs et mieux documentés.<br /> <br /> <br />
R
Sans oublier, dans la France de Vichy, un avatar évident avec cette francisque pseudo-franque (car contrairement à ce que l'on lit ici et là dans les "Wiki machins", la leur n'était pas à double tranchant !) ...
Répondre
S
<br /> Vous êtes bien sévère ! Wikipedia, bien que son article soit indigent, établit bien que la francisque n'avait qu'un seul tranchant.<br /> <br /> Puisqu'on en parle, je suis d'ailleurs assez curieux de l'origine de ce mythe de la francisque à double tranchant (ceci dit, contrairement à la tombe des faisceaux, ce mythe est battu en brèche<br /> depuis longtemps, même chez le grand public, puisque j'ai moi-même appris la vérité il y a fort longtemps grâce à "Alain Decaux raconte l'Histoire de France aux enfants"...).<br /> <br /> Il semblerait que Grégoire de Tours utilise le mot latin Bipennis pour parler des francisques, cela pourrait être une explication, si le mot avait ensuite été pris au sens littéral...<br /> <br /> <br />